Ce n'était pas comme ça qu'il fallait que je
Ce n'était pas comme ça qu'il fallait que je sois. Je m'étais imaginé qu'elles avaient parlé de moi ce jour-là lorsqu'elles semblaient nous évaluer l'un après l'autre, alors que je ne pouvais décemment pas faire partie de la liste puisque je n'étais pas un mec à proprement parler. Je tentais vaguement de considérer l'éventuel succès de mes dessins grotesques et naïfs, ils faisaient semble t-il quelque peu sourire celle que nous avions élue comme une sorte d'égérie, tout en sachant que si elle riait de nous ce n'était sûrement pas de la façon dont nous aurions aimé qu'elle le fasse, pas nécessairement à nos dépends (du moins espérons-le) mais plus exactement comme l'on considère des êtres simplement touchants, frais, candides, ce que nous étions sans aucun doute mais en rêvant néanmoins de tenter parfois de jouer dans la cour des mecs par nos entreprises vaguement volontaristes (qu'allait-elle donc penser de ma chanson intitulée « Faire l'amour » dans la cassette que nous lui avions transmise, quelle audace !).
Pouvais-je continuer à être ainsi ? Celle qui me prendra une fois la main seulement quatre ans plus tard (ce qui est peu, à l'aune d'aujourd'hui) répondra en partie à la question : oui et non. Oui car il a dorénavant été prouvé que quelque chose pouvait se passer malgré le corps chaotique (mais il faut faire ça discrètement la nuit, en jetant le papier toilette dans la poubelle pour davantage de discrétion), et malgré la nette sensation de faiblesse anti-virile (désormais expliquée) que je me traîne sur mes deux jambes : impossible de coordonner mes doigts sur la guitare, elle tente de me les placer mais on ne peut rien y faire, j'ai bien trop mal à la tête, et l'essentiel semble après tout résider dans ma propension vocale à une androgynie semble t-il « magnifique » (ou adjectif similaire), mais d'ailleurs cela favorise t-il mon cas ? Eh bien NON car à cause de mon souhait d'avoir cette voix et aucune autre je ne peux faire valoir que je suis une sorte de seul vrai hétéro car ce n'est pas à cela qu'elle sert mais seulement à me complaire dans une douceur soulageante qui me sauve de mes atteintes, donc c'est pipé (gêné quand dix ans plus tard elle lira devant moi l'inscription suivante sur la même cassette précédemment citée, dans la partie présentation de l'artiste : « regarde les filles », au sein d'une liste d'auto-définitions, comme si j'avais écrit « est né là-bas », preuve de ma propension jadis à la monstration appuyée, quelque peu compensatoire de tout le reste, désormais récusée car c'est encore trop).
D'ailleurs, jamais vraiment su si dans son regard il y avait avant tout de l'attendrissement ou avant tout une sorte de reconnaissance. (Il faut dire que je suspecte toujours la compassion à cause du fait que ma maman est morte.)