« Et ça fait toujours un mec de plus, heureusement parce que sinon... », dit-il en mentionnant le fait que sa présence (à ce mec) évite qu'il se retrouve le seul mec sur ce lieu de travail qui déjà ne lui sied guère, alors si en plus on peut pas rigoler... Je me rappelle qu'il trouvait déjà à l'époque qu'on ne pouvait pas rigoler avec les filles, que ce n'était pas normal. Et quand il me parlait, quand je lui parlais, je me sentais toujours anormal, amoindri, prenant une petite voix car ne sachant où placer mon genre : étais-je un « mec » comme lui ? Surtout pas, mais étais-je une « fille » ? Non plus, car c'était justement le fait de ne pas l'être qui faisait que j'aimais tant être avec elles, qu'elles rendaient le monde normal alors qu'avec les « mecs » il fallait toujours que ça devienne pas normal à un moment.
Mais alors, quand il laissait entendre que les filles c'était pas cool (mais alors pourquoi les aimait-il quand même à d'autres points de vue ? comment pouvait-il lier ces deux positions contradictoires ? je ne comprenais pas), devais-je me mettre à les « défendre » comme j'aurais défendu les « miens » ? Le faire m'aurait trop fait passer pour le fasciné de service, le cœur d'artichaut, quelque chose de déjà référencé dans l'univers des « mecs » : cela aurait maintenu le dialogue, la correspondance avec “l'univers mec”, avec cette espèce de petite voix que je ne pouvais m'empêcher de prendre en miroir face aux « mecs » quand ils me rappelaient que je n'avais pas confiance en moi, que je tendais vers le pas normal, tandis qu'avec les filles je commençais à être de plus en plus « moi-même », à savoir le moi tendant vers la normalité de ce que je suis, idéal certes asymptotique mais à l'existence tout à fait solide et certaine. Les filles, si elles existaient, c'était pour être enfin normal, enfin ne plus être un “mec”. Être avec elles.