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Le seul vrai hétéro
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17 août 2019

Sait-elle que je vais écrire un texte sur elle,

Sait-elle que je vais écrire un texte sur elle, surtout sur sa main, sa main qui a touché le fruit que je lui avais acheté ? Il faudrait écrire aussi sur ses yeux, son sourire et ses cheveux, mais déjà trop donné. Tout mon passé de cœur d'artichaut s'est résumé à ça, à ce trip consistant à s'amuser à se demander « et sait-elle que etc., alors que je ne la connais pas le moins du monde, que je ne fais que la croiser dans la vie ? ». À l'époque, ce que l'on nomme l'amour se résumait à cela : leur être physique, leurs gestes s'imprimaient en moi et me suivaient tout le jour, m'accompagnaient en boucle. Ce n'était qu'incarnation, que chair et je tentais de faire comprendre à mon alter-ego que je trouvais ça plus beau que tout, je disais plus intense et même plus pur (je faisais exprès pour l'embêter, lui le romantique). 

Au bout d'un moment, il a bien fallu correspondre au modèle : l'amour ce serait s'intéresser particulièrement à une individualité. Il est vrai que je ressentis le besoin (sans doute créé de toutes pièces, mais comme tout) de me concentrer sur un être en soi. J'en choisis une et je projetai par conséquent tout ce que je dus projeter, il fallait bien ça. Bon, c'était un mime grotesque mais il y avait l'idée de trouver une idiosyncrasie. Et c'est vrai que cette sorte d'amour-là (l'autre amour, comme je pourrais l'appeler, étant donné qu'il vint en second) permet d'apprendre à ne pas l'extraire du reste de la vie ; c'est bien cette personne que l'on vise, qui correspond à des choses du monde (possibles vues communes, etc.). Et en effet, quand j'en vivrai vraiment (fini le mime), ce sera tout à fait ça : quelle personne c'est, dis-donc, sacrée personne !

Deux façons, donc. La première présente des manifestations mentales communément rattachées à l'amour (sic) mais n'est justement que pure incarnation, tellement incarnation que l'on pourra trouver qu'elle est désincarnée (objection que je conçois, bien que je la récuse). La seconde permet de vraiment s'ouvrir à la personne en une visée commune mais possède également un risque d'hypostase désincarnante : on recherche alors telle qualité, telle donnée (pour lesquelles on ne manque pas d'exigence) ; qui plus est, je ne peux m'empêcher d'y mettre une certaine distance, la distance que j'ai à l'égard de la vie en général : je considère la chose en soi et oui, souvent, j'aime en soi profondément (j'aime elle en soi, en tant qu'elle), mais il peut alors possiblement y avoir un décalage par rapport à ce que j'aimerais pour moi ; en gros, qu'est-ce que j'apprécie cette personne (goût maîtrisé) mais pas sûr qu'elle soit appréciable pour moi (sensibilité que je ne maîtrise pas).

Pas le même genre de distance dans les deux : dans la première, distance de mon être objectif (je n'existe alors pas vraiment, seule elle existe), tandis que mon moi prend toute la ferveur pour lui ; dans la seconde, distance de mon moi qui laisse tout le jugement à l'être objectif obnubilé par sa concrétisation. On s'accomplit sûrement mieux par la seconde sorte, mais la première ne dit-elle pas davantage quelque chose de ce que l'on est, de ce que l'on aimerait, des élans qui nous animent ?

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